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Une société de plus en plus sous surveillance …

dimanche 3 février 2008

Le fait divers, surtout s’il est violent ou sanglant, présente bien des avantages. Le lecteur de journaux et le téléspectateur en raffolent le plus souvent. De grands médias et beaucoup de journalistes aussi. Jouer sur des peurs ancestrales et profondes de l’être humain a forcément de fortes résonances. Et cela autorise des papiers et des émissions à peu de frais, toute l’année. Avec succès.

Il devient ainsi presque inutile d’analyser des phénomènes sociaux et politiques complexes, qui ne font pas l’unanimité et nécessitent un vrai travail d’enquête, de réflexion, de synthèse, du temps et de l’argent. Puis des décisions politiques courageuses qui ont forcément un coût, financier et politique.

Les conditions sont donc parfaitement réunies pour développer une idéologie sécuritaire dans la société. Politiques et industriels y trouvent leur compte. Les uns, pour garder le pouvoir aussi longtemps que possible, les autres, pour faire toujours plus de juteuses affaires. Les intérêts sont énormes et ils s’accordent sur un même objectif : faire de la surveillance une habitude de vie, pour le bien de tous, au nom d’un monde plus sûr. La sécurité des personnes, c’est fondamental. Beaucoup sont prêts à y sacrifier un peu, beaucoup, de liberté. La sécurité est progressivement devenue une telle obsession qu’on ne s’interroge plus sur les causes profondes de la violence dans la société.

Dans l’actualité, année après année, mois après mois, les annonces se succèdent. Lois sécuritaires toujours plus nombreuses et répressives, sans qu’il soit besoin de faire un quelconque bilan des précédentes, multiplication et déploiement toujours plus large de technologies de surveillance, de suivi et d’identification de la population : par internet, biométrie, vidéosurveillance, puces RFID (Radio Frequency Identification), engins légers de surveillance aérienne (ELSA ou drones), …

Le marché de la vidéosurveillance explose : selon la revue En toute sécurité, il est passé de 193 millions d’euros en 1993 à 427 millions en 2003. Le 4 juillet 2007, Nicolas Sarkozy a annoncé un « plan de grande ampleur de caméras en France ». Propos confirmés par Michèle Alliot- Marie, ministre de l’Intérieur, en novembre dernier, avec la volonté de passer de 350000 caméras présentes en ville sur le territoire français à un million d’ici à 2012.

Le marché des RFID n’est pas moins florissant. Une société d’études britannique suit le marché des puces radio dans le monde : 2,4 milliards d’étiquettes RFID ont été mises en service depuis leur invention jusqu’à fin 2005. En 2016, elle prévoit un marché 450 fois supérieur à celui de 2006, soit la vente de 485 milliards de puces RFID (source : Michel Alberganti « Sous l’œil des puces, la RFID et la démocratie », pages 100-101).

Les drones sont des avions miniatures télécommandés (un mètre de large et 60 centimètres de long), volant à 150 mètres d’altitude, des engins militaires destinés à équiper certains commissariats de police afin de surveiller banlieues et manifestations. Dotés d’une caméra, rien ne leur échappe.

Ces technologies nous concernent tous : nationaux, étrangers, avec ou sans papiers. Elles infiltrent tous les domaines de l’existence : police, commerce, éducation, santé, monde du travail, communications, transports,…

La multiplication de techniques, de plus en plus sophistiquées et performantes, toujours à des fins sécuritaires ou soi-disant pour nous simplifier la vie, s’effectue dans une indifférence quasi générale, réduisant tous les espaces de libertés, le plus souvent sans débat, sans consultation démocratique.

Et sans réel contrôle, puisque la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a vu son champ d’action progressivement limité – depuis la loi du 21 janvier 1995, par exemple, elle n’est plus compétente en ce qui concerne la vidéosurveillance dans les lieux publics – et que le pouvoir lui refuse les moyens matériels et humains de sa mission.

Il y a les empreintes que l’on laisse dans le sable et celles que l’on laisse sur internet, dans différents fichiers, toujours plus nombreux. Si les premières s’effacent rapidement, la durée de conservation - et d’exploitation - des secondes est beaucoup plus longue.

« Les hommes deviennent moins attachés aux droits particuliers, au moment où il serait le plus nécessaire de retenir et de défendre le peu qui en reste. » Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835.

Nous prenons ainsi le risque, sinon la voie, d’un « totalitarisme sécuritaire ».

Bernard WILS, section LDH Paris 14/6