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Crise alimentaire : des émeutes de la faim qui appellent une réponse politique

dimanche 22 juin 2008

Un intéressant café-débat a été organisé samedi 14 Juin dans le XIVème avec JP. Boris, journaliste à RFI. Son sujet : un thème d’actualité mais encore insuffisamment relayé par les media : la crise alimentaire qui, depuis quelques mois, fait éclater des émeutes de la faim, parfois violentes, d’un bout à l’autre de la planète. Manifestations violentes en Egypte contre le prix élevé du pain, insécurité alimentaire au Sri Lanka, émeutes en Mauritanie, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso ou au Sénégal, affrontements violents à Haïti.
La FAO (Food and Agricultural Organization) a tiré la sonnette d’alarme : la hausse des prix des produits alimentaires a, selon elle, « un impact dévastateur sur la sécurité de nombreux peuples et sur les droits de l’homme ».

Le fait est là : les denrées alimentaires de première nécessité (blé, maïs, riz, lait, pâtes) connaissent une flambée des prix ces derniers mois (45 % en neuf mois selon Jacques Diouf, directeur général de la FAO). Cette hausse pénalise tous les pays, qu’ils soient développés ou en développement, mais risque d’affamer en premier lieu les plus pauvres, que ce soit en Afrique, en Asie ou en Amérique latine.

Les causes de cette nouvelle crise alimentaire sont multiples selon les experts, immédiates et structurelles.
Pour les causes immédiates, on citera notamment de mauvaises récoltes (incendies en Australie, sécheresses) et le contre-coup de la crise financière des subprimes qui a amené les investisseurs à se détourner de l’immobilier pour spéculer sur le prix de matières premières, y compris alimentaires.

Mais l’intervention de JP Boris a permis de révéler des causes plus profondes. Voilà 10 ans, nous apprend-il, que la production agricole mondiale est déséquilibrée, c’est-à-dire qu’on produit moins que ce que l’on consomme.

C’est d’abord dû à une demande plus forte. Le décollage économique de la Chine, de l’Inde, du Vietnam, … entamé il y a deux décennies, génère une demande croissante pour les denrées agricoles. Là aussi, rien de soudain, JP Boris nous assène cette réalité implacable : voilà des années que l’on voit, sur les marchés des matières premières, que la Chine est l’arbitre absolu, faisant évoluer les cours selon ses besoins de consommation (l’Inde étant en train de jouer ce rôle sur le marché des oléagineux.). En juillet 2007, la FAO, conjointement avec l’OCDE, avait également mis en garde contre la « mode » des biocarburants qui risquait de se faire au détriment des cultures destinées à l’alimentation.

Face à cette demande croissante, la production n’a pas suivie. Dans certains pays, comme le Danemark, la volonté – louable - de s’orienter vers une agriculture écologique a même amené à réduire l’utilisation d’engrais, faisant baisser la production de blé, au point que ce pays anciennement exportateur est devenu importateur. Dans nombre de pays en développement, surtout, les productions sont insuffisantes. Dans certains pays, comme le Zimbabwe ou la République Démocratique du Congo, le chaos politique local a durablement désorganisé l’agriculture. Dans d’autres pays, il a été plus facile aux gouvernants d’opter pour l’importation de matières premières alimentaires, que d’investir massivement dans les infrastructures indispensables au développement agricole (structuration des filières de production et de commercialisation, construction de routes, maîtrise de l’eau). Parfois, pour de bonnes raisons (répondre au besoin immédiat d’alimentation de la population), mais dans bien des cas aussi pour de mauvaises raisons (corruption, mise sous contrôle du pays, incitations des organisations financières internationales). S’ensuivent aujourd’hui, selon les situations locales, des agricultures fragiles, désorganisées et fortement dépendantes des échanges internationaux.

Face à ce désastre humanitaire que révèlent les émeutes de la faim actuelles, les réactions paraissent insuffisantes et en tous les cas, court-termistes.
Plusieurs Etats tentent des mesures palliatives : subventions des prix des produits alimentaires, diminution ou suppression des droits de douane à l’importation, notamment sur le riz. Le premier véritable cri d’alarme a été lancé par le Programme alimentaire mondial (PAM) qui a réclamé, dès le mois de mars 2008, une enveloppe supplémentaire de 500 millions de dollars pour pouvoir continuer à nourrir ses bénéficiaires - un traitement humanitaire de la crise, qui ne peut avoir d’effets que de court-terme.

Au final, deux convictions ressortent de ce café-débat :
 La première, c’est que la logique de charité qui sous-tend les actions humanitaires empêche de réfléchir aux vrais problèmes et de rechercher des solutions politiques. Preuve en est que Haïti dispose d’une myriade d’ONG humanitaires, qui ont été incapables d’éviter que la crise alimentaire ne touche de plein fouet ce pays parmi les plus pauvres de la planète.
 La seconde, c’est que la crise alimentaire actuelle a révélé au grand jour que nous sommes arrivés à un point crucial, où il nous faut faire les bons choix politiques : il va falloir repenser l’agriculture mondiale, les échanges internationaux, sans a priori et solutions toutes faites, pour réussir à faire émerger en fonction des situations locales, une agriculture modernisée, qui ne sacrifie rien aux enjeux écologiques, mais qui répondent aussi aux besoins alimentaires des populations. Cela veut dire remettre à plat un faisceau de questions corrélées : quelle régulation des prix et des droits de douanes, quelles utilisations des OGM et des engrais, quels équilibres entre la monoculture exportatrice et la suffisance agricole locale ou régionale, quels partages des techniques, brevets et expertises entre les pays, …

La réponse à ces questions est complexe, mais indispensable. Ce n’est pas du côté de la « société civile » et de l’humanitaire qu’il faut attendre les réponses, mais d’une solution politique de grande ampleur.

E.F., section LDH Paris 14/6