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Mayotte : la Défenseure des enfants dénonce les "nombreuses atteintes aux droits fondamentaux des enfants"

dimanche 23 novembre 2008

En annexe de son rapport d’activité annuel remis le 20 novembre au président de la République et au Parlement, la Défenseure des enfants, Dominique Versini, consacre vingt pages à la situation particulière de Mayotte. Un rapport accablant.

Lors de son déplacement à Mayotte du 6 au 8 octobre derniers, Dominique Versini n’avait pas mâché ses mots face aux nombreuses atteintes au droit des enfants constatées sur place. Elle n’en avait pas parlé lors de sa conférence de presse, mais son coup de gueule lors d’une réunion avec les responsables sanitaires de l’île, au cours de laquelle elle avait mis en cause "l’âme et la conscience" de ses interlocuteurs et avait évoqué le régime de Vichy pour dénoncer le fait que certains enfants sans papiers sont refusés à l’entrée des dispensaires, raisonne encore dans les couloirs du Centre hospitalier de Mayotte.

Le rapport qu’elle a remis à Nicolas Sarkozy et au Parlement jeudi 20 novembre est du même acabit. En annexe de son rapport d’activité annuel, elle consacre 20 pages à l’île, intitulées "Regard de la Défenseure des enfants sur la situation des mineurs à Mayotte".

"Lors de son déplacement à Mayotte", indique le document, Mme Versini "a pu constater les nombreuses difficultés rencontrées dans la prise en charge des mineurs. Certaines problématiques ont interpellé la Défenseure des enfants au regard notamment de la Convention internationale des droits de l’enfant". "Les exceptions, de fait ou de droit, ne manquent pas à Mayotte, (…) et font apparaître de nombreuses atteintes aux droits fondamentaux des enfants", ajoute-t-il.

La Défenseure des enfants dénonce en premier lieu la situation des français mahorais en attente de la révision de leur état civil. "Le délai de traitement des demandes est très long, de l’ordre de 3 à 4 ans pour obtenir un acte révisé. (…) Cette situation est apparue à la Défenseure des enfants extrêmement préjudiciable (…) Le fait que des français n’arrivent pas à établir leur nationalité française constitue une discrimination particulièrement grave notamment pour les mineurs qui sont pénalisés dans l’exercice de leurs droits fondamentaux (accès aux soins, à des bourses scolaires ou aux autres prestations, passage d’examens, liberté de circulation…)."

Récemment soulevée par les députés français, la question de l’état-civil nécessite selon Mme Versini une réflexion sur "l’optimisation des moyens matériels et humains" qui sont alloués à la Commission de révision de l’état-civil (CREC).

Autre difficulté dénoncée par la Défenseure des enfants : l’accès des enfants aux soins du secteur public – notamment les enfants issus de l’immigration clandestine. "Le filtrage administratif opéré lors de l’accès à l’hôpital dissuade les personnes d’y présenter les enfants en dehors de situations extrêmes (urgence) et expose indéniablement les enfants à des risques de santé d’autant que Mayotte se caractérise par un niveau préoccupant de maladies infectieuses", indique Mme Versini, qui rappelle qu’il s’agit d’un droit élémentaire. Selon elle, l’Etat ne respecte pas à Mayotte la Convention internationale des droits de l’enfant et à la décision du Conseil d’Etat du 7 juin 2006 "qui a énoncé clairement (…) que les enfants ne peuvent être soumis à aucune restriction d’accès aux soins". Elle regrette "que les recommandations de l’ARH [sur les dispositifs d’urgence et l’accueil des enfants] ne semblaient pas toujours suivies d’effet dans la réalité de terrain pour les enfants et les femmes enceintes."

Plus loin, le rapport indique que l’admission des enfants au sein du système scolaire est trop souvent entravée. "Les moyens déployés par l’Education Nationale en matière de scolarisation des enfants sont aujourd’hui très importants pour pouvoir répondre à la croissance exponentielle des effectifs", écrit-elle, tandis que "le niveau général des élèves demeure inférieur au niveau métropolitain" et que "les difficultés restent préoccupantes (déscolarisation précoce et échec scolaire important)." Dans ce contexte, elle "regrette que des mineurs, étrangers ou non, se voient soumis à une évaluation sélective. Devant le retard scolaire et le taux d’échec élevé des élèves étrangers, il conviendrait d’envisager pour une certaine partie d’entre eux une insertion scolaire spécifique par la mise en place d’un enseignement spécialisé plutôt que de les maintenir en classe de primaire malgré un âge avancé ou de les orienter vers des CAP/BEP."

Sur la situation des enfants placés au Centre de rétention administrative (CRA) de Pamandzi, elle dénonce la pratique de la Police aux frontières (PAF) "consistant à inscrire les mineurs comme étant nés le 1er janvier de l’année permettant de fixer leur majorité (en 2008, tous les mineurs sont inscrits avec la date de naissance du 01/01/90), alors même que certains de ces mineurs faisaient l’objet d’un suivi éducatif ou pénal auprès du Juge des Enfants de Mayotte". Cette pratique est également dénoncée par la Cimade , qui a enregistré un certain nombre de cas de ce type ces derniers mois. La Défenseure des enfants rappelle en outre que "les enfants qui n’ont pas commis d’infraction n’ont pas être placés dans un lieu privatif de liberté".

Enfin, dernier point – sur lequel Mme Versini est la plus critique : la prise en charge des enfants en difficulté, notamment les mineurs isolés, dont l’association Tama estime le nombre à 755 au 1er semestre 2008. "Il s’agit essentiellement de mineurs de moins de 12 ans (dont près de la moitié aurait moins de 5 ans). Dans 66% des cas recensés par l’association, les mères sont revenues sur le territoire dans un délai de 10 jours à un mois après leur reconduite à la frontière", rapporte la Défenseure des enfants, qui regrette "que les pouvoirs publics alertés depuis plusieurs années par les professionnels de terrain n’aient pas pu mobiliser les moyens – au demeurant modestes – nécessaires pour qu’un véritable dispositif de prévention et de traitement de l’enfant en danger et de la délinquance des mineurs ait pu se mettre en place".

Sur cette question, le Conseil général et l’Etat en prennent pour leur grade. "A partir du moment où ces mineurs isolés sont repérés, ils font l’objet d’un signalement et devraient être pris en charge par le Conseil général dans le cadre d’une mesure judiciaire de placement qui n’est manifestement pas exercée (…) Si le Conseil général de Mayotte a effectivement mis en place un service d’aide sociale à l’enfance, force est de constater que les moyens mis en oeuvre (personnel, structures…) n’apparaissent pas adaptés à la situation". Quant à la PJJ , elle "souffre d’une absence de moyens (7 éducateurs seulement) qui ne lui permet pas de répondre à ses missions et a des conséquences importantes puisque en juin 2008, 265 mesures ordonnées par le Parquet ou le Juge des Enfants étaient en attente d’exécution."

Selon le rapport, "la question des mineurs étrangers abandonnés sur le territoire de Mayotte revêt un caractère particulier. Dans la plupart des cas, il s’agit d’enfants confiés à un adulte (un parent, un proche de la famille, un voisin…) dans l’attente du retour de leur parent (mère le plus souvent) qui a été expulsé. Le retour du parent est très fréquent puisque 80% des mères reviennent à Mayotte auprès de leur(s) enfant(s) dans un délai de moins de 6 semaines après leur reconduite à la frontière. Dès lors, on peut considérer que ces enfants ne relèvent pas d’une situation de danger manifeste au sens juridique du terme et font rarement l’objet d’une ouverture de tutelle. En revanche, ces enfants sont exposés à des difficultés importantes sur le plan financier, sanitaire et en termes d’insertion sociale (scolarisation notamment)." Et de conclure : "Le renforcement de la politique d’immigration entraînera mécaniquement un retour plus difficile des parents à Mayotte et exposera de ce fait les enfants abandonnés à des risques accrus, les solidarités familiales et sociales étant dans les faits limitée dans le temps."

Source : http://www.malango-actualite.com/

Télécharger le rapport de la Défenseure des enfants sur : http://www.defenseurdesenfants.fr/pdf/MAYOTTE_COMP.pdf